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Glissements fortement rétrogressifs: Investigation et modélisation numérique (CPS 21-22-20, PACC 15-16-10 & 17-18-05)

Les glissements rétrogressifs survenant au Québec peuvent être classés selon leur morphologie et le mécanisme de rupture en cinq catégories : coulée argileuse, étalement, glissement translationnel, glissement par plaque et glissement par tranches. Ce projet porte principalement sur les étalements, les glissements translationnels et les coulées argileuses. Les terrains pouvant être emportés par ces glissements couvrent de très grandes superficies (> 1 ha). Leur délimitation a donc une incidence majeure sur l’aménagement du territoire et sur l’utilisation des terrains déjà bâtis dans ces zones. Or, en raison de l’état limité des connaissances scientifiques sur cet aspect, l’approche cartographique actuelle utilisée par les ingénieurs du gouvernement repose sur une méthode empirique très prudente. L’intérêt d’améliorer nos connaissances dans ce domaine est de raffiner la méthode de délimitation du zonage lors de la cartographie, afin que le zonage ne soit pas trop contraignant pour l’aménagement, tout en demeurant sécuritaire. De plus, de meilleures connaissances sur l’initiation et la propagation des glissements rétrogressifs vont permettre d’élaborer les méthodes de stabilisation plus sécuritaires pour les travailleurs s’afférant à stabiliser les talus suite à une première rupture.

Ce projet porte sur les étalements et les glissements translationnels avec l’hypothèse que le mécanisme de rupture progressive, tenant en compte le comportement anti-écrouissage des argiles, peut expliquer ces mouvements de terrain. Dans les dernières années, des études détaillées de cas d’étalement par le Laboratoire d’étude sur les risques naturels de l’Université Laval (LERN) et le gouvernement (A. Locat et al. 2013a; Durand et al. 2015; Tremblay-Auger 2020), dont celui ayant eu lieu à Saint-Jude en 2010 (A. Locat et al. 2017) combinées à une compilation et une synthèse de 14 cas d’étalements étant survenus au Canada (Therrien 2020), ont permis de définir certaines caractéristiques moins connues des étalements (morphologie des débris, position de la surface de rupture et propriétés géotechniques des sols impliqués), et d’affirmer l’importance de ce type de glissements de terrain au Canada. L’application de la rupture progressive à ces glissements (A. Locat et al. 2011; A. Locat et al. 2013b; A. Locat et al. 2015) a démontré que la prise en compte du comportement anti-écrouissage permet d’analyser l’initiation de ces glissements et leur étendu et donne une première définition des paramètres entrant en jeux dans le mécanisme de rupture des étalements, tels que l’état des contraintes dans le talus avant la rupture, la fragilité du sol et la résistance à grande déformation. Ces divers travaux ont en partie été réalisés dans le cadre des projets PACC 15-16-10 et 17-18-05. Suite à ces travaux, divers modèles numériques 2D, permettant d’analyser la dislocation et la propagation des débris en forme de horsts et de grabens typiques des étalements, ont été développés par d’autres groupes de recherche. Wang (2020) présente une version récente du modèle utilisé par Dey et al. (2015 et 2016a et b) permettant de déterminer les contraintes initiales en incluant les pressions interstitielles et de définir un état de contrainte réaliste dans le talus étudié. Cet état de contrainte, défini par le coefficient des terres au repos (K0), semble affecter le modèle et le type de glissement (coulée vs étalement) qui survient. Ces modèles utilisent la méthode “Coupled Eulerian-Lagrangian” (CEL) afin de tenir compte des grandes déformations. Le modèle tient aussi compte du taux de déformation et de la résistance à grande déformation du sol. Une application de ce modèle au cas de Saint-Jude est aussi présentée dans ces travaux (une version préliminaire de ces résultats a été présentée par Wang et al. 2016). L’analyse arrive à simuler raisonnablement bien la topographie finale du glissement. Wang et al. (2020), quant à eux, ont poussé l’analyse plus loin en étudiant l’effet de la géométrie et des propriétés sur le type et la rétrogression. Ils ont remarqué que leur modèle donnait des étalements ou des coulées selon la mobilité de débris, la fragilité du comportement de l’argile et l’état des contraintes. Il n’est par contre pas clair pourquoi deux types de mouvements de terrain surviennent dans ce modèle. Tran et Solowski (2019) ont appliqué la « Generalized Interpolation Material Point Method » (GIMPM) à l’étalement de Sainte-Monique de Nicolet. Il s’agit là d’une « Material Point Method (MPM) » améliorée et plus stable que l’originale. En utilisant la GIMPM et un comportement contrainte-déformation avec anti-écrouissage, la simulation de la rupture progressive lors d’un glissement de terrain, incluant la formation, la propagation d’une bande de cisaillement et la dislocation du sol a été possible en supposant que le glissement de terrain est initié par de l’érosion en pied du talus. Cette simulation arrive à modéliser la formation de horsts et grabens typiques des étalements. Dans leur simulation, une sensibilité plus grande que 25 et une résistance remaniée plus faible que 2 kPa sont requises pour qu’il y ait rétrogression. Leur modèle prend aussi en compte l’effet du taux de déformation sur la résistance du sol, qui semble avoir un effet important. Ce dernier modèle semble toutefois complexe à utiliser considérant que la MPM est relativement récente et peu utilisée. Ces études sont principalement théoriques et dénotent le besoin de cas d’études détaillés de grands glissements de terrain afin de développer des critères de prédisposition pour ceux-ci qui seront applicables pour la pratique et éventuellement intégrés dans la cartographie du zonage. De plus, les paramètres entrant en jeux dans le développement d’une surface de rupture, tels que l’état des contraintes dans le talus, l’épaisseur de la bande de cisaillement, le comportement du sol à grande déformation, l’effet de la vitesse du cisaillement et la variation des pressions interstitielles dans la bande de cisaillement, sont des paramètres clés dans le mécanisme de la rupture progressive et sont difficilement mesurables sur le terrain (Soga et al. 2015; Andresen et Jostad 2017). Il est donc nécessaire d’étudier ces paramètres en laboratoire et à l’aide de simulations numériques basées sur des cas réels de glissements de terrain afin d’établir des relations utiles entre le comportement du sol en laboratoire et celui observé à l’échelle d’une pente naturelle. Alors que les études récentes progressent dans la génération d'un modèle qui simule le comportement des coulées argileuses, des étalements et des glissements rotationnels, elles n'ont pas été en mesure de prédire complètement les conditions requises pour que la rétrogression survienne suite à une rupture initiale, ni d'explorer pleinement le mécanisme qui dicte si une rupture rétrogressive, lorsqu'elle se produit, se produira sous la forme d'un étalement ou d'une coulée. De plus, les logiciels utilisés dans ces études sont généralement avancés et peu accessibles aux ingénieurs de la pratique.

Le projet global « Rupture progressive et étalements dans les argiles sensibles de l’Est du Canada » comporte trois phases pour le moment. La phase I (PACC 15-16-10), qui s’est étalée entre mai 2014 et mars 2017, comprend des travaux au site de Casselman et la première partie de la compilation des étalements. La phase II (PACC 17-18-15) qui s'est déroulée entre mars 2017 et décembre 2020, complète cette compilation en plus d’améliorer les connaissances quant à l’analyse de la rupture progressive et des étalements par modélisation numérique. La phase II du projet était divisée en deux volets distincts, soit la « compilation, caractérisation et analyse de cas d’étalements » (volet 1 - projet de maîtrise de Mme Julie Therrien) et l’« analyse de la rupture progressive et des étalements par modélisation numérique » (volet 2 - projet de maîtrise de Mme Frédérique Tremblay-Auger). La phase III du projet (CPS 21-22-20), en cours en ce moment, comprend donc la caractérisation de glissements peu étudiés pour le moment, soit un glissement translationnel et un glissement rétrogressif étant survenu dans des argiles lacustres avec l’objectif de documenter ces types de glissement. Pour le volet 1, le glissement de terrain de Bristol est à l'étude dans le cadre du projet de maîtrise de Mme Laurie Guimont. De plus, le volet 2 comprend l’analyse du développement de la première rupture suite à une instabilité dans un talus argileux. Cette étude numérique étudiera les conditions d’initiation d’un glissement rotationnel, d’un étalement ou d’un glissement par plaque en utilisant des cas de glissements rétrogressifs déjà étudiés en détails dans les projets PACC 15-16-10 et 17-18-05. Ce projet sera à l'étude dans le cadre du doctorat de M. Andries Kirstein.

Publications

  • Tremblay-Auger F., Locat A, Leroueil S, Locat P, Demers D, Therrien J* and Mompin R. (2020). The 2016 landslide at Saint-Luc-de-Vincennes: geotechnical and morphological analysis of a combined case of flowslide and spread. Revues Canadienne de géotechnique.
  • Tremblay-Auger F, Locat A, Leroueil S, Demers D, and Levasseur P P. (2019). A rare case of downward progressive failure in eastern Canada: the 2976 Saint-Fabien landslide. Revue canadienne de géotechnique.
  • Tremblay-Auger F*, Locat A, Leroueil S, and Demers D. (2019). Numerical modeling of downward progressive failure in sensitive clays; the case of the 1976 landslide at Saint-Fabien, Québec. Compte-rendu de la 72eme conférence géotechnique Canadienne. 72eme conférence géotechnique Canadienne, St-John's, Canada,
  • Tremblay-Auger, F, Locat A, Leroueil S et Demers D. (2018). The 2016 landslide at Saint-Luc-de-Vincennes. Comptes rendus de la 71eme conférence géotechnique Canadienne. 71eme conférence géotechnique Canadienne, Edmonton, Canada
  • Tremblay-Auger F, Levasseur P-P, Demers D, Leroueil S et Locat A. (2018). The 1976 landslide at Saint-Fabien, Québec. Proceedings of GeoHazards 7. GeoHazards 7, Ca, Canada,
  • Locat A, Leroueil S, Therrien J et Demers D. (2018). Understanding spreads in Canadian sensitive clays. GeoHazards 7, Canmore, Canada,
  • Locat A, Demers D, Locat P et Geertsema M. (2017). Sensitive clay landslides in Canada. Comptes rendus de la 70ème conférence géotechnique Canadienne. 70ème conférence géotechnique Canadienne, Ottawa, Canada,
  • Durand A, Locat A, Leroueil S, Locat P et Demers D. (2015). Nouvelle investigation géotechnique du glissement de terrain de 1971 le long de la rivière de la Nation Sud, Ontario. Comptes rendus de la 68ème conférence géotechnique Canadienne. 68ème conférence géotechnique Canadienne, Québec, Canada.